Pour que le caractère d'un être humain dévoile des qualités vraiment exceptionnelles, il faut avoir la bonne fortune de pouvoir observer son action pendant de longues années. Si cette action est dépouillée de tout égoïsme, si l'idée qui la dirige est d'une générosité sans exemple, s'il est absolument certain qu'elle n'a cherché de récompense nulle part et qu'au surplus elle ait laissé sur le monde des marques visibles, on est alors, sans risque d'erreurs, devant un caractère inoubliable.
Il y a environ une quarantaine d'années, je faisais une longue course à pied, sur des hauteurs absolument inconnues des touristes, dans cette très vieille région des Alpes qui pénètre en Provence.
Cette région est délimitée au sud-est et au sud par le cours moyen de la Durance, entre Sisteron et Mirabeau; au nord par le cours supérieur de la Drôme, depuis sa source jusqu'à Die; à l'ouest par les plaines du Comtat Venaissin et les contreforts du Mont-Ventoux. Elle comprend toute la partie nord du département des Basses-Alpes, le sud de la Drôme et une petite enclave du Vaucluse.
C'était, au moment où j'entrepris ma longue promenade dans ces déserts, des landes nues et monotones, vers 1200 à 1300 mètres d'altitude. Il n'y poussait que des lavandes sauvages.
Je traversais ce pays dans sa plus grande largeur et, après trois jours de marche, je me trouvais dans une désolation sans exemple. Je campais à côté d'un squelette de village abandonné. Je n'avais plus d'eau depuis la veille et il me fallait en trouver. Ces maisons agglomérées, quoique en ruine, comme un vieux nid de guêpes, me firent penser qu'il avait dû y avoir là, dans le temps, une fontaine ou un puits. Il y avait bien une fontaine, mais sèche. Les cinq à six maisons, sans toiture, rongées de vent et de pluie, la petite chapelle au clocher écroulé, étaient rangées comme le sont les maisons et les chapelles dans les villages vivants, mais toute vie avait disparu.
C'était un beau jour de juin avec grand soleil, mais sur ces terres sans abri et hautes dans le ciel, le vent soufflait avec une brutalité insupportable. Ses grondements dans les carcasses des maisons étaient ceux d'un fauve dérangé dans son repas.
Il me fallut lever le camp. A cinq heures de marche de là, je n'avais toujours pas trouvé d'eau et rien ne pouvait me donner l'espoir d'en trouver. C'était partout la même sécheresse, les mêmes herbes ligneuses. Il me sembla apercevoir dans le lointain une petite silhouette noire, debout. Je la pris pour le tronc d'un arbre solitaire. A tout hasard, je me dirigeai vers elle. C'était un berger. Une trentaine de moutons couchés sur la terre brûlante se reposaient près de lui.
Il me fit boire à sa gourde et, un peu plus tard, il me conduisit à sa bergerie, dans une ondulation du plateau. Il tirait son eau - excellente - d'un trou naturel, très profond, au-dessus duquel il avait installé un treuil rudimentaire.
Cet homme parlait peu. C'est le fait des solitaires, mais on le sentait sûr de lui et confiant dans cette assurance. C'était insolite dans ce pays dépouillé de tout. Il n'habitait pas une cabane mais une vraie maison en pierre où l'on voyait très bien comment son travail personnel avait rapiécé la ruine qu'il avait trouvé là à son arrivée. Son toit était solide et étanche. Le vent qui le frappait faisait sur les tuiles le bruit de la mer sur les plages.
Son ménage était en ordre, sa vaisselle lavée, son parquet balayé, son fusil graissé; sa soupe bouillait sur le feu. Je remarquai alors qu'il était aussi rasé de frais, que tous ses boutons étaient solidement cousus, que ses vêtements étaient reprisés avec le soin minutieux qui rend les reprises invisibles.
Il me fit partager sa soupe et, comme après je lui offrais ma blague à tabac, il me dit qu'il ne fumait pas. Son chien, silencieux comme lui, était bienveillant sans bassesse.
Il avait été entendu tout de suite que je passerais la nuit là; le village le plus proche était encore à plus d'une journée et demie de marche. Et, au surplus, je connaissais parfaitement le caractère des rares villages de cette région. Il y en a quatre ou cinq dispersés loin les uns des autres sur les flans de ces hauteurs, dans les taillis de chênes blancs à la toute extrémité des routes carrossables. Ils sont habités par des bûcherons qui font du charbon de bois. Ce sont des endroits où l'on vit mal. Les familles serrées les unes contre les autres dans ce climat qui est d'une rudesse excessive, aussi bien l'été que l'hiver, exaspèrent leur égoïsme en vase clos. L'ambition irraisonnée s'y démesure, dans le désir continu de s'échapper de cet endroit.
Les hommes vont porter leur charbon à la ville avec leurs camions, puis retournent. Les plus solides qualités craquent sous cette perpétuelle douche écossaise. Les femmes mijotent des rancoeurs. Il y a concurrence sur tout, aussi bien pour la vente du charbon que pour le banc à l'église, pour les vertus qui se combattent entre elles, pour les vices qui se combattent entre eux et pour la mêlée générale des vices et des vertus, sans repos. Par là-dessus, le vent également sans repos irrite les nerfs. Il y a des épidémies de suicides et de nombreux cas de folies, presque toujours meurtrières.
Le berger qui ne fumait pas alla chercher un petit sac et déversa sur la table un tas de glands. Il se mit à les examiner l'un après l'autre avec beaucoup d'attention, séparant les bons des mauvais. Je fumais ma pipe. Je me proposai pour l'aider. Il me dit que c'était son affaire. En effet: voyant le soin qu'il mettait à ce travail, je n'insistai pas. Ce fut toute notre conversation. Quand il eut du côté des bons un tas de glands assez gros, il les compta par paquets de dix. Ce faisant, il éliminait encore les petits fruits ou ceux qui étaient légèrement fendillés, car il les examinait de fort près. Quand il eut ainsi devant lui cent glands parfaits, il s'arrêta et nous allâmes nous coucher.
La société de cet homme donnait la paix. Je lui demandai le lendemain la permission de me reposer tout le jour chez lui. Il le trouva tout naturel, ou, plus exactement, il me donna l'impression que rien ne pouvait le déranger. Ce repos ne m'était pas absolument obligatoire, mais j'étais intrigué et je voulais en savoir plus. Il fit sortir son troupeau et il le mena à la pâture. Avant de partir, il trempa dans un seau d'eau le petit sac où il avait mis les glands soigneusement choisis et comptés.
Je remarquai qu'en guise de bâton, il emportait une tringle de fer grosse comme le pouce et longue d'environ un mètre cinquante. Je fis celui qui se promène en se reposant et je suivis une route parallèle à la sienne. La pâture de ses bêtes était dans un fond de combe. Il laissa le petit troupeau à la garde du chien et il monta vers l'endroit où je me tenais. J'eus peur qu'il vînt pour me reprocher mon indiscrétion mais pas du tout: c'était sa route et il m'invita à l'accompagner si je n'avais rien de mieux à faire. Il allait à deux cents mètres de là, sur la hauteur.
Arrivé à l'endroit où il désirait aller, il se mit à planter sa tringle de fer dans la terre. Il faisait ainsi un trou dans lequel il mettait un gland, puis il rebouchait le trou. Il plantait des chênes. Je lui demandai si la terre lui appartenait. Il me répondit que non. Savait-il à qui elle était? Il ne savait pas. Il supposait que c'était une terre communale, ou peut-être, était-elle propriété de gens qui ne s'en souciaient pas? Lui ne se souciait pas de connaître les propriétaires. Il planta ainsi cent glands avec un soin extrême.
Après le repas de midi, il recommença à trier sa semence. Je mis, je crois, assez d'insistance dans mes questions puisqu'il y répondit. Depuis trois ans il plantait des arbres dans cette solitude. Il en avait planté cent mille. Sur les cent mille, vingt mille était sortis. Sur ces vingt mille, il comptait encore en perdre la moitié, du fait des rongeurs ou de tout ce qu'il y a d'impossible à prévoir dans les desseins de la Providence. Restaient dix mille chênes qui allaient pousser dans cet endroit où il n'y avait rien auparavant.
C'est à ce moment là que je me souciai de l'âge de cet homme. Il avait visiblement plus de cinquante ans. Cinquante-cinq, me dit-il. Il s'appelait Elzéard Bouffier. Il avait possédé une ferme dans les plaines. Il y avait réalisé sa vie. Il avait perdu son fils unique, puis sa femme. Il s'était retiré dans la solitude où il prenait plaisir à vivre lentement, avec ses brebis et son chien. Il avait jugé que ce pays mourait par manque d'arbres. Il ajouta que, n'ayant pas d'occupations très importantes, il avait résolu de remédier à cet état de choses.
Menant moi-même à ce moment-là, malgré mon jeune âge, une vie solitaire, je savais toucher avec délicatesse aux âmes des solitaires. Cependant, je commis une faute. Mon jeune âge, précisément, me forçait à imaginer l'avenir en fonction de moi-même et d'une certaine recherche du bonheur. Je lui dis que, dans trente ans, ces dix mille chênes seraient magnifiques. Il me répondit très simplement que, si Dieu lui prêtait vie, dans trente ans, il en aurait planté tellement d'autres que ces dix mille seraient comme une goutte d'eau dans la mer.
Il étudiait déjà, d'ailleurs, la reproduction des hêtres et il avait près de sa maison une pépinière issue des faînes. Les sujets qu'il avait protégés de ses moutons par une barrière en grillage, étaient de toute beauté. Il pensait également à des bouleaux pour les fonds où, me dit-il, une certaine humidité dormait à quelques mètres de la surface du sol.
Nous nous séparâmes le lendemain.
L'année d'après, il y eut la guerre de 14 dans laquelle je fus engagé pendant cinq ans. Un soldat d'infanterie ne pouvait guère y réfléchir à des arbres. A dire vrai, la chose même n'avait pas marqué en moi: je l'avais considérée comme un dada, une collection de timbres, et oubliée.
Sorti de la guerre, je me trouvais à la tête d'une prime de démobilisation minuscule mais avec le grand désir de respirer un peu d'air pur. C'est sans idée préconçue - sauf celle-là - que je repris le chemin de ces contrées désertes.
Le pays n'avait pas changé. Toutefois, au-delà du village mort, j'aperçus dans le lointain une sorte de brouillard gris qui recouvrait les hauteurs comme un tapis. Depuis la veille, je m'étais remis à penser à ce berger planteur d'arbres. “Dix mille chênes, me disais-je, occupent vraiment un très large espace”.
J'avais vu mourir trop de monde pendant cinq ans pour ne pas imaginer facilement la mort d'Elzéar Bouffier, d'autant que, lorsqu'on en a vingt, on considère les hommes de cinquante comme des vieillards à qui il ne reste plus qu'à mourir. Il n'était pas mort. Il était même fort vert. Il avait changé de métier. Il ne possédait plus que quatre brebis mais, par contre, une centaine de ruches. Il s'était débarrassé des moutons qui mettaient en péril ses plantations d'arbres. Car, me dit-il (et je le constatais), il ne s'était pas du tout soucié de la guerre. Il avait imperturbablement continué à planter.
Les chênes de 1910 avaient alors dix ans et étaient plus hauts que moi et que lui. Le spectacle était impressionnant. J'étais littéralement privé de parole et, comme lui ne parlait pas, nous passâmes tout le jour en silence à nous promener dans sa forêt. Elle avait, en trois tronçons, onze kilomètres de long et trois kilomètres dans sa plus grande largeur. Quand on se souvenait que tout était sorti des mains et de l'âme de cet homme - sans moyens techniques - on comprenait que les hommes pourraient être aussi efficaces que Dieu dans d'autres domaines que la destruction.
Il avait suivi son idée, et les hêtres qui m'arrivaient aux épaules, répandus à perte de vue, en témoignaient. Les chênes étaient drus et avaient dépassé l'âge où ils étaient à la merci des rongeurs; quant aux desseins de la Providence elle-même, pour détruire l'oeuvre créée, il lui faudrait avoir désormais recours aux cyclones. Il me montra d'admirables bosquets de bouleaux qui dataient de cinq ans, c'est-à-dire de 1915, de l'époque où je combattais à Verdun. Il leur avait fait occuper tous les fonds où il soupçonnait, avec juste raison, qu'il y avait de l'humidité presque à fleur de terre. Ils étaient tendres comme des adolescents et très décidés.
La création avait l'air, d'ailleurs, de s'opérer en chaînes. Il ne s'en souciait pas; il poursuivait obstinément sa tâche, très simple. Mais en redescendant par le village, je vis couler de l'eau dans des ruisseaux qui, de mémoire d'homme, avaient toujours été à sec. C'était la plus formidable opération de réaction qu'il m'ait été donné de voir. Ces ruisseaux secs avaient jadis porté de l'eau, dans des temps très anciens. Certains de ces villages tristes dont j'ai parlé au début de mon récit s'étaient construits sur les emplacements d'anciens villages gallo-romains dont il restait encore des traces, dans lesquelles les archéologues avaient fouillé et ils avaient trouvé des hameçons à des endroits où au vingtième siècle, on était obligé d'avoir recours à des citernes pour avoir un peu d'eau.
Le vent aussi dispersait certaines graines. En même temps que l'eau réapparut réapparaissaient les saules, les osiers, les prés, les jardins, les fleurs et une certaine raison de vivre.
Mais la transformation s'opérait si lentement qu'elle entrait dans l'habitude sans provoquer d'étonnement. Les chasseurs qui montaient dans les solitudes à la poursuite des lièvres ou des sangliers avaient bien constaté le foisonnement des petits arbres mais ils l'avaient mis sur le compte des malices naturelles de la terre. C'est pourquoi personne ne touchait à l'oeuvre de cet homme. Si on l'avait soupçonné, on l'aurait contrarié. Il était insoupçonnable. Qui aurait pu imaginer, dans les villages et dans les administrations, une telle obstination dans la générosité la plus magnifique?
A partir de 1920, je ne suis jamais resté plus d'un an sans rendre visite à Elzéard Bouffier. Je ne l'ai jamais vu fléchir ni douter. Et pourtant, Dieu sait si Dieu même y pousse! Je n'ai pas fait le compte de ses déboires. On imagine bien cependant que, pour une réussite semblable, il a fallu vaincre l'adversité; que, pour assurer la victoire d'une telle passion, il a fallu lutter avec le désespoir. Il avait, pendant un an, planté plus de dix mille érables. Ils moururent tous. L'an d'après, il abandonna les érables pour reprendre les hêtres qui réussirent encore mieux que les chênes.
Pour avoir une idée à peu près exacte de ce caractère exceptionnel, il ne faut pas oublier qu'il s'exerçait dans une solitude totale; si totale que, vers la fin de sa vie, il avait perdu l'habitude de parler. Ou, peut-être, n'en voyait-il pas la nécessité?
En 1933, il reçut la visite d'un garde forestier éberlué. Ce fonctionnaire lui intima l'ordre de ne pas faire de feu dehors, de peur de mettre en danger la croissance de cette forêt naturelle. C'était la première fois, lui dit cet homme naïf, qu'on voyait une forêt pousser toute seule. A cette époque, il allait planter des hêtres à douze kilomètres de sa maison. Pour s'éviter le trajet d'aller-retour - car il avait alors soixante-quinze ans - il envisageait de construire une cabane de pierre sur les lieux mêmes de ses plantations. Ce qu'il fit l'année d'après.
En 1935, une véritable délégation administrative vint examiner la "forêt naturelle". Il y avait un grand personnage des Eaux et Forêts, un député, des techniciens. On prononça beaucoup de paroles inutiles. On décida de faire quelque chose et, heureusement, on ne fit rien, sinon la seule chose utile: mettre la forêt sous la sauvegarde de l'Etat et interdire qu'on vienne y charbonner. Car il était impossible de n'être pas subjugué par la beauté de ces jeunes arbres en pleine santé. Et elle exerça son pouvoir de séduction sur le député lui-même.
J'avais un ami parmi les capitaines forestiers qui était de la délégation. Je lui expliquai le mystère.
Un jour de la semaine d'après, nous allâmes tous les deux à la recherche d'Elzéard Bouffier. Nous le trouvâmes en plein travail, à vingt kilomètres de l'endroit où avait eu lieu l'inspection.
Ce capitaine forestier n'était pas mon ami pour rien. Il connaissait la valeur des choses. Il sut rester silencieux. J'offris les quelques oeufs que j'avais apportés en présent. Nous partageâmes notre casse-croûte en trois et quelques heures passèrent dans la contemplation muette du paysage.
Le côté d'où nous venions était couvert d'arbres de six à sept mètres de haut. Je me souvenais de l'aspect du pays en 1913: le désert... Le travail paisible et régulier, l'air vif des hauteurs, la frugalité et surtout la sérénité de l'âme avaient donné à ce vieillard une santé presque solennelle. C'était un athlète de Dieu. Je me demandais combien d'hectares il allait encore couvrir d'arbres.
Avant de partir, mon ami fit simplement une brève suggestion à propos de certaines essences auxquelles le terrain d'ici paraissait devoir convenir. Il n'insista pas. "Pour la bonne raison, me dit-il après, que ce bonhomme en sait plus que moi." Au bout d'une heure de marche - l'idée ayant fait son chemin en lui - il ajouta : "Il en sait beaucoup plus que tout le monde. Il a trouvé un fameux moyen d'être heureux!"
C'est grâce à ce capitaine que, non seulement la forêt, mais le bonheur de cet homme furent protégés. Il fit nommer trois gardes-forestiers pour cette protection et il les terrorisa de telle façon qu'ils restèrent insensibles à tous les pots-de-vin que les bûcherons pouvaient proposer.
L'oeuvre ne courut un risque grave que pendant la guerre de 1939. Les automobiles marchant alors au gazogène, on n'avait jamais assez de bois. On commença à faire des coupes dans les chênes de 1910, mais ces quartiers sont si loin de tous réseaux routiers que l'entreprise se révéla très mauvaise au point de vue financier. On l'abandonna. Le berger n'avait rien vu. Il était à trente kilomètres de là, continuant paisiblement sa besogne, ignorant la guerre de 39 comme il avait ignoré la guerre de 14.
J'ai vu Elzéard Bouffier pour la dernière fois en juin 1945. Il avait alors quatre-vingt-sept ans. J'avais donc repris la route du désert, mais maintenant, malgré le délabrement dans lequel la guerre avait laissé le pays, il y avait un car qui faisait le service entre la vallée de la Durance et la montagne. Je mis sur le compte de ce moyen de transport relativement rapide le fait que je ne reconnaissais plus les lieux de mes dernières promenades. Il me semblait aussi que l'itinéraire me faisait passer par des endroits nouveaux. J'eus besoin d'un nom de village pour conclure que j'étais bien cependant dans cette région jadis en ruine et désolée. Le car me débarqua à Vergons.
En 1913, ce hameau de dix à douze maisons avait trois habitants. Ils étaient sauvages, se détestaient, vivaient de chasse au piège: à peu près dans l'état physique et moral des hommes de la préhistoire. Les orties dévoraient autour d'eux les maisons abandonnées. Leur condition était sans espoir. Il ne s'agissait pour eux que d'attendre la mort: situation qui ne prédispose guère aux vertus.
Tout était changé. L'air lui-même. Au lieu des bourrasques sèches et brutales qui m'accueillaient jadis, soufflait une brise souple chargée d'odeurs. Un bruit semblable à celui de l'eau venait des hauteurs: c'était celui du vent dans les forêts. Enfin, chose plus étonnante, j'entendis le vrai bruit de l'eau coulant dans un bassin. Je vis qu'on avait fait une fontaine, qu'elle était abondante et, ce qui me toucha le plus, on avait planté près d'elle un tilleul qui pouvait déjà avoir dans les quatre ans, déjà gras, symbole incontestable d'une résurrection.
Par ailleurs, Vergons portait les traces d'un travail pour l'entreprise duquel l'espoir était nécessaire. L'espoir était donc revenu. On avait déblayé les ruines, abattu les pans de murs délabrés et reconstruit cinq maisons. Le hameau comptait désormais vingt-huit habitants dont quatre jeunes ménages. Les maisons neuves, crépies de frais, étaient entourées de jardins potagers où poussaient, mélangés mais alignés, les légumes et les fleurs, les choux et les rosiers, les poireaux et les gueules-de-loup, les céleris et les anémones. C'était désormais un endroit où l'on avait envie d'habiter.
A partir de là, je fis mon chemin à pied. La guerre dont nous sortions à peine n'avait pas permis l'épanouissement complet de la vie, mais Lazare était hors du tombeau. Sur les flans abaissés de la montagne, je voyais de petits champs d'orge et de seigle en herbe; au fond des étroites vallées, quelques prairies verdissaient.
Il n'a fallu que les huit ans qui nous séparent de cette époque pour que tout le pays resplendisse de santé et d'aisance. Sur l'emplacement des ruines que j'avais vues en 1913, s'élèvent maintenant des fermes propres, bien crépies, qui dénotent une vie heureuse et confortable. Les vieilles sources, alimentées par les pluies et les neiges que retiennent les forêts, se sont remises à couler. On en a canalisé les eaux. A côté de chaque ferme, dans des bosquets d'érables, les bassins des fontaines débordent sur des tapis de menthes fraîches. Les villages se sont reconstruits peu à peu. Une population venue des plaines où la terre se vend cher s'est fixée dans le pays, y apportant de la jeunesse, du mouvement, de l'esprit d'aventure. On rencontre dans les chemins des hommes et des femmes bien nourris, des garçons et des filles qui savent rire et ont repris goût aux fêtes campagnardes. Si on compte l'ancienne population, méconnaissable depuis qu'elle vit avec douceur et les nouveaux venus, plus de dix mille personnes doivent leur bonheur à Elzéard Bouffier.
Quand je réfléchis qu'un homme seul, réduit à ses simples ressources physiques et morales, a suffi pour faire surgir du désert ce pays de Canaan, je trouve que, malgré tout, la condition humaine est admirable. Mais, quand je fais le compte de tout ce qu'il a fallu de constance dans la grandeur d'âme et d'acharnement dans la générosité pour obtenir ce résultat, je suis pris d'un immense respect pour ce vieux paysan sans culture qui a su mener à bien cette oeuvre digne de Dieu.
Elzéard Bouffier est mort paisiblement en 1947 à l'hospice de Banon.
Jean Giono
Affinché il carattere di un essere umano possa rivelare delle qualità veramente eccezionali, bisogna avere la buona fortuna di poterne osservare l'agire durante i lunghi anni. Se questa azione è spogliata di ogni egoismo, se l'idea che la dirige è di una generosità senza esempio, se è assolutamente certo che non ha cercato da nessuna parte ricompensa e che quanto al resto ha lasciato nel mondo dei segni visibili, si è allora, senza rischio di errori, davanti ad un carattere indimenticabile.
Una quarantina circa di anni fa, stavo facendo una lunga camminata, tra cime assolutamente sconosciute ai turisti, in quella antica regione delle Alpi che penetra in Provenza. Questa regione è delimitata a sud-est e a sud dal corso medio della Durance, tra Sisteron e Mirabeau; a nord dal corso superiore della Drôme, dalla sorgente sino a Die; a ovest dalle pianure del Comtat Venaissin e i contrafforti del Monte Ventoux. Essa comprende tutta la parte settentrionale del dipartimento delle Basse Alpi, il sud della Drôme e una piccola enclave della Valchiusa.
Si trattava, quando intrapresi la mia lunga passeggiata in quel deserto, di lande nude e monotone, tra i milledue e i milletrecento metri di altitudine. L'unica vegetazione che vi cresceva era la lavanda selvatica. Attraversavo la regione per la sua massima larghezza e, dopo tre giorni di marcia, mi trovavo in mezzo a una desolazione senza pari. Mi accampai di fianco allo scheletro di un villaggio abbandonato. Non avevo più acqua dal giorno prima e avevo necessità di trovarne. Quell'agglomerato di case, benché in rovina, simile a un vecchio alveare, mi fece pensare che dovevano esserci stati, una volta, una fonte o un pozzo. C'era difatti una fonte, ma secca. Le cinque o sei case, senza tetto, corrose dal vento e dalla pioggia, e la piccola cappella col campanile crollato erano disposte come le case e le cappelle dei villaggi abitati, ma la vita era scomparsa.
Era una bella giornata di giugno, molto assolata ma, su quelle terre senza riparo e alte nel cielo, il vento soffiava con brutalità insopportabile. I suoi ruggiti nelle carcasse delle case erano quelli d'una belva molestata durante il pasto.
Dovetti riprendere la marcia. Cinque ore più tardi, non avevo ancora trovato acqua e nulla mi dava speranza di trovarne. Dappertutto la stessa aridità, le stesse erbacce legnose. Mi parve di scorgere in lontananza una piccola sagoma nera, in piedi. La presi per il tronco d'un albero solitario. A ogni modo mi avvicinai. Era un pastore. Una trentina di pecore sdraiate sulla terra cocente si riposavano accanto a lui.
Mi fece bere dalla sua borraccia e, poco più tardi, mi portò nel suo ovile, in una ondulazione del pianoro. Tirava su l'acqua, ottima, da un foro naturale, molto profondo, al di sopra del quale aveva installato un rudimentale verricello.
L'uomo parlava poco, com'è nella natura dei solitari, ma lo si sentiva sicuro di sé e confidente in quella sicurezza. Era una presenza insolita in quella regione spogliata di tutto. Non abitava in una capanna ma in una vera casa di pietra, ed era evidente come il suo lavoro personale avesse rappezzato la rovina che aveva trovato al suo arrivo. Il tetto era solido e stagno. Il vento che lo batteva faceva sulle tegole il rumore del mare sulla spiaggia.
La casa era in ordine, i piatti lavati, il pavimento di legno spazzato, il fucile ingrassato; la minestra bolliva sul fuoco. Notai anche che l'uomo era rasato di fresco, che tutti i suoi bottoni erano solidamente cuciti, che i suoi vestiti erano rammendati con la cura minuziosa che rende i rammendi invisibili.
Divise con me la minestra e, quando gli offrii la borsa del tabacco, mi rispose che non fumava. Il suo cane, silenzioso come lui, era affettuoso senza bassezza.
Era rimasto subito inteso che avrei passato la notte da lui; il villaggio più vicino era a più di un giorno e mezzo di cammino. E, oltretutto, conoscevo perfettamente il carattere dei rari villaggi di quella regione. Ce ne sono quattro o cinque sparsi lontani gli uni dagli altri sulle pendici di quelle cime, nei boschi di querce al fondo estremo delle strade carrozzabili. Sono abitati da boscaioli che producono carbone di legno. Sono posti dove si vive male. Le famiglie, serrate l'una contro l'altra in quel clima di una rudezza eccessiva, d'estate come d'inverno, esasperano il proprio egoismo sotto vuoto. L'ambizione irragionevole si sviluppa senza misura, nel desiderio di sfuggire a quei luoghi.
Gli uomini portano il carbone in città con i camion, poi tornano. Le più solide qualità scricchiolano sotto quella perpetua doccia scozzese. Le donne covano rancori. C'è concorrenza su tutto, per la vendita del carbone come per il banco di chiesa, per le virtù che lottano tra di loro, per i vizi che lottano tra di loro e per il miscuglio generale dei vizi e delle virtù, senza posa. Per sovrappiù, il vento altrettanto senza posa irrita i nervi. Ci sono epidemie di suicidi e numerosi casi di follia, quasi sempre assassina.
Il pastore che non fumava prese un sacco e rovesciò sul tavolo un mucchio di ghiande. Si mise a esaminarle l'una dopo l'altra con grande attenzione, separando le buone dalle guaste. Io fumavo la pipa. Gli proposi di aiutarlo. Mi rispose che era affar suo. In effetti: vista la cura che metteva in quel lavoro, non insistetti. Fu tutta la nostra conversazione. Quando ebbe messo dalla parte delle buone un mucchio abbastanza grosso di ghiande, le divise in mucchietti da dieci. Così facendo, eliminò ancora i frutti piccoli o quelli leggermente screpolati, poiché li esaminava molto da vicino. Quando infine ebbe davanti a sé cento ghiande perfette, si fermò e andammo a dormire.
La società di quell'uomo dava pace. Gli domandai l'indomani il permesso di riposarmi per l'intera giornata da lui. Lo trovò del tutto naturale o, più esattamente, mi diede l'impressione che nulla potesse disturbarlo. Quel riposo non mi era affatto necessario, ma ero intrigato e ne volevo sapere di più. Il pastore fece uscire il suo gregge e lo portò al pascolo. Prima di uscire, bagnò in un secchio d'acqua il sacco in cui aveva messo le ghiande meticolosamente scelte e contate.
Notai che in guisa di bastone portava un'asta di ferro della grossezza di un pollice e lunga un metro e mezzo. Feci mostra di voler fare una passeggiata di riposo e seguii una strada parallela alla sua. Il pascolo delle bestie era in un avvallamento. Lasciò il piccolo gregge in guardia al cane e salì verso di me. Temetti che venisse per rimproverarmi della mia indiscrezione ma niente affatto, quella era la strada che doveva fare e m'invitò ad accompagnarlo se non avevo di meglio. Andava a duecento metri da lì, più a monte.
Arrivato dove desiderava, cominciò a piantare la sua asta di ferro in terra. Faceva così un buco nel quale depositava una ghianda, dopo di che turava di nuovo il buco. Piantava querce. Gli domandai se quella terra gli apparteneva. Mi rispose di no. Sapeva di chi era? Non lo sapeva. Supponeva che fosse una terra comunale, o forse proprietà di gente che non se ne curava? Non gli interessava conoscerne i proprietari. Piantò così le cento ghiande con estrema cura.
Dopo il pranzo di mezzogiorno, ricominciò a scegliere le ghiande. Misi, credo, sufficiente insistenza nelle mie domande, perché mi rispose. Da tre anni piantava alberi in quella solitudine. Ne aveva piantati centomila. Di centomila, ne erano spuntati ventimila. Di quei ventimila, contava di perderne ancora la metà, a causa dei roditori o di tutto quel che c'è di imprevedibile nei disegni della Provvidenza. Restavano diecimila querce che sarebbero cresciute in quel posto dove prima non c'era nulla.
Fu a quel momento che mi interessai dell'età di quell'uomo. Aveva evidentemente più di cinquant'anni. Cinquantacinque, mi disse lui. Si chiamava Elzéard Bouffier. Aveva posseduto una fattoria in pianura. Aveva vissuto la sua vita. Aveva perso il figlio unico, poi la moglie. S'era ritirato nella solitudine dove trovava piacere a vivere lentamente, con le pecore e il cane. Aveva pensato che quel paese sarebbe morto per mancanza d'alberi. Aggiunse che, non avendo altre occupazioni più importanti, s'era risolto a rimediare a quello stato di cose.
Poiché conducevo anch'io in quel momento, malgrado la giovane età, una vita solitaria, sapevo toccare con delicatezza l'anima dei solitari. Tuttavia, commisi un errore. La mia giovane età, appunto, mi portava a immaginare l'avvenire in funzione di me stesso e di una qual certa ricerca di felicità. Dissi che, nel giro di trent'anni, quelle diecimila querce sarebbero state magnifiche. Mi rispose con gran semplicità che, se Dio gli avesse prestato vita, nel giro di trent'anni ne avrebbe piantate tante altre che quelle diecimila sarebbero state come una goccia nel mare.
Stava già studiando, d'altra parte, la riproduzione dei faggi e aveva accanto alla casa un vivaio generato dalle faggine. I soggetti, che aveva protetto dalle pecore con una barriera di rete metallica, erano di grande bellezza. Pensava inoltre alle betulle per i terreni dove, mi diceva, una certa umidità dormiva a qualche metro dalla superficie del suolo.
Ci separammo il giorno dopo.
L'anno seguente, ci fu la guerra del '14, che mi impegnò per cinque anni. Un soldato di fanteria non poteva pensare agli alberi. A dir la verità, la cosa non mi era nemmeno rimasta impressa; l'avevo considerata come un passatempo, una collezione di francobolli, e dimenticata. Finita la guerra, mi trovai con un'indennità di congedo minuscola ma con il grande desiderio di respirare un poco d'aria pura. Senza idee preconcette, quindi, tranne quella, ripresi la strada di quelle contrade deserte.
Il paese non era cambiato. Tuttavia, oltre il villaggio abbandonato, scorsi in lontananza una specie di nebbia grigia che ricopriva le cime come un tappeto. Dalla vigilia, m'ero rimesso a pensare a quel pastore che piantava gli alberi. "Diecimila querce - mi dicevo - occupano davvero un grande spazio."
Avevo visto morire troppa gente in cinque anni per non immaginarmi facilmente anche la morte di Elzéard Bouffier, tanto più che, quando si ha vent'anni, si considerano le persone di cinquanta come dei vecchi a cui resta soltanto da morire. Non era morto. Era anzi in ottima forma. Aveva cambiato mestiere. Gli erano rimaste solo quattro pecore ma, in cambio, possedeva un centinaio di alveari. Si era sbarazzato delle bestie che mettevano in pericolo i suoi alberi. Perché, mi disse (e lo constatai), non s'era per nulla curato della guerra. Aveva continuato imperturbabilmente a piantare.
Le querce del 1910 avevano adesso dieci anni ed erano più alte di me e di lui. Lo spettacolo era impressionante. Ero letteralmente ammutolito e, poiché lui non parlava, passammo l'intera giornata a passeggiare in silenzio per la sua foresta. Misurava, in tre tronconi, undici chilometri nella sua lunghezza massima. Se si teneva a mente che era tutto scaturito dalle mani e dall'anima di quell'uomo, senza mezzi tecnici, si comprendeva come gli uomini potrebbero essere altrettanto efficaci di Dio in altri campi oltre alla distruzione.
Aveva seguito la sua idea, e i faggi che mi arrivavano alle spalle, sparsi a perdita d'occhio, ne erano la prova. Le querce erano fitte e avevano passato l'età in cui potevano essere alla mercé dei roditori; quanto ai disegni della Provvidenza stessa per distruggere l'opera creata, avrebbe dovuto ormai ricorrere ai cicloni. Bouffier mi mostrò dei mirabili boschetti di betulle che datavano a cinque anni prima, cioè al 1915, l'epoca in cui io combattevo a Verdun. Le aveva piantate in tutti i terreni dove sospettava, a ragione, che ci fosse umidità quasi a fior di terra. Erano tenere come delle adolescenti e molto decise.
Il processo aveva l'aria, d'altra parte, di funzionare a catena. Lui non se ne curava; perseguiva ostinatamente il proprio compito, molto semplice. Ma, ridiscendendo al villaggio, vidi scorrere dell'acqua in ruscelli che, a memoria d'uomo, erano sempre stati secchi. Era la più straordinaria forma di reazione che abbia mai avuto modo di vedere. Quei ruscelli avevano già portato dell'acqua, in tempi molto antichi. Alcuni dei tristi villaggi di cui ho parlato all'inizio del mio racconto sorgevano su siti di antichi villaggi gallo-romani di cui restavano ancora vestigia, nelle quali gli archeologi avevano scavato, trovando ami in posti dove nel ventesimo secolo si doveva far ricorso alle cisterne per avere un po' d'acqua.
Anche il vento disperdeva certi semi. Con l'acqua erano riapparsi anche i salici, i giunchi, i prati, i giardini, i fiori e una certa ragione di vivere.
Ma la trasformazione avveniva così lentamente che entrava nell'abitudine senza provocare stupore. I cacciatori che salivano in quelle solitudini seguendo le lepri o i cinghiali, s'erano accorti del rigoglio di alberelli, ma l'avevano messo in conto alle malizie naturali della terra. Perciò nessuno disturbava l'opera di quell'uomo. Se l'avessero sospettato, l'avrebbero ostacolato. Era insospettabile. Chi avrebbe potuto immaginare, nei villaggi e nelle amministrazioni, una tale ostinazione nella più magnifica generosità?
A partire dal 1920, non ho mai lasciato passare più d'un anno senza andare a trovare Elzéard Bouffier. Non l'ho mai visto cedere né dubitare. Eppure, Dio solo sa di averlo messo alla prova! Non ho fatto il conto delle sue delusioni. È facile immaginarsi tuttavia che, per una simile riuscita, sia stato necessario vincere le avversità; che, per assicurare la vittoria di tanta passione, sia stato necessario lottare contro lo sconforto. Bouffier aveva piantato, un anno, più di diecimila aceri. Morirono tutti. L'anno dopo, abbandonò gli aceri per riprendere i faggi che riuscirono ancora meglio delle querce. Per farsi un'idea più precisa di quell'eccezionale carattere, non bisogna dimenticare che operava in una solitudine totale; al punto che, verso la fine della vita, aveva perso del tutto l'abitudine a parlare. O, forse, non ne vedeva la necessità.
Nel 1933, ricevette la visita di una guardia forestale sbalordita. Il funzionario gli intimò l'ordine di non accendere fuochi all'aperto, per non mettere in pericolo la crescita di quella foresta naturale. Era la prima volta, gli spiegò quell'uomo ingenuo, che si vedeva una foresta spuntare da sola. A quell'epoca, Bouffier andava a piantare faggi a dodici chilometri da casa. Per evitare il viaggio di andata e ritorno, poiché aveva ormai settantacinque anni, stava considerando la possibilità di costruirsi una casupola di pietra sul luogo stesso dove piantava. Ciò che fece l'anno seguente.
Nel 1935, una vera e propria delegazione governativa venne a esaminare la foresta naturale. C'erano un pezzo grosso delle Acque e Foreste, un deputato, dei tecnici. Fu deciso di fare qualcosa e, fortunatamente, non si fece nulla, tranne l'unica cosa utile: mettere la foresta sotto la tutela dello Stato e proibire che si venisse a farne carbone. Perché era impossibile non restare soggiogati dalla bellezza di quei giovani alberi in piena salute. Esercitò il proprio potere di seduzione persino sul deputato.
Un capitano forestale mio amico faceva parte della delegazione. Gli spiegai il mistero. Un giorno della settimana seguente, andammo insieme a cercare Elzéard Bouffier. Lo trovammo in pieno lavoro, a venti chilometri da dove aveva avuto luogo l'ispezione.
Quel capitano forestale non era mio amico per nulla. Conosceva il valore delle cose. Seppe restare in silenzio. Offrii le uova che avevo portato in regalo. Dividemmo il nostro spuntino in tre e restammo qualche ora nella muta contemplazione del paesaggio. La costa che avevamo percorso era coperta d'alberi che andavano da sei a otto metri di altezza. Mi ricordavo l'aspetto di quelle terre nel 1913, il deserto... Il lavoro calmo e regolare, l'aria viva d'altura, la frugalità e soprattutto la serenità dell'anima avevano conferito a quel vecchio una salute quasi solenne. Era un atleta di Dio. Mi domandavo quanti altri ettari avrebbe coperto d'alberi.
Prima di partire, il mio amico azzardò soltanto qualche suggerimento a proposito di certe essenze alle quali il terreno sembrava adattarsi. Non insistette. "Per la semplice ragione" mi spiegò poi, "che quel signore ne sa più di me". Dopo un'ora di cammino, dopo che l'idea aveva progredito in lui, aggiunse: "Ne sa di più di tutti. Ha trovato un bel modo di essere felice!"
È grazie a quel capitano che, non solo la foresta, ma anche la felicità di quell'uomo furono protette. Fece nominare tre guardie forestali per quella protezione e le terrorizzò a tal punto che rimasero sempre insensibili alle mazzette offerte dai boscaioli.
L'opera corse un grave rischio solo durante la guerra del 1939. Poiché le automobili andavano allora col gasogeno, non c'era mai abbastanza legna. Cominciarono a tagliare le querce del 1910, ma l'area era talmente lontana da tutte le reti stradali che l'impresa si rivelò fallimentare dal punto di vista finanziario. Fu abbandonata. Il pastore non aveva visto nulla. Era a trenta chilometri di distanza, e continuava pacificamente il proprio lavoro, ignorando la guerra del '39 come aveva ignorato quella del '14.
Ho visto Elzéard Bouffier per l'ultima volta nel giugno del 1945. Aveva ottantasette anni. Avevo ripreso la strada del deserto, ma adesso, nonostante la rovina in cui la guerra aveva lasciato il paese, c'era una corriera che faceva servizio tra la valle della Durance e la montagna. Misi sul conto di quel mezzo di trasporto relativamente rapido il fatto che non riconoscessi più i luoghi delle mie prime passeggiate. Mi parve anche che l'itinerario mi facesse passare in posti nuovi. Ebbi bisogno del nome di un villaggio per concludere che invece mi trovavo proprio in quella zona un tempo in rovina e desolata. La corriera mi depositò a Vergons.
Nel 1913, quella frazione di una dozzina di case contava tre abitanti. Erano dei selvaggi, si odiavano, vivevano di caccia con le trappole; più o meno erano nello stato fisico e morale degli uomini preistorici. Le ortiche divoravano attorno a loro le case abbandonate. La loro condizione era senza speranza. Non avevano altro da fare che attendere la morte: situazione che non dispone alla virtù.
Ora tutto era cambiato. L'aria stessa. Invece delle bufere secche e brutali che mi avevano accolto un tempo, soffiava una brezza docile carica di odori. Un rumore simile a quello dell'acqua veniva dalla cima delle montagne: era il vento nella foresta. Infine, cosa più sorprendente, udii il vero rumore dell'acqua scrosciante in una vasca. Vidi che avevano costruito una fontana; l'acqua vi era abbondante e, ciò che soprattutto mi commosse, vidi che vicino a essa avevano piantato un tiglio di forse quattro anni, già rigoglioso, simbolo incontestabile di una resurrezione.
In generale, Vergons portava i segni di un lavoro per la cui impresa era necessaria la speranza. La speranza era dunque tornata. Avevano sgomberato le rovine, abbattuto i muri crollati e ricostruito cinque case. La frazione contava ormai ventotto abitanti, tra cui quattro giovani famiglie. Le case nuove, intonacate di fresco, erano circondate da orti in cui crescevano, mescolati ma allineati, verdure e fiori, cavoli e rose, porri e bocche di leone, sedani e anemoni. Era ormai un posto dove si aveva voglia di abitare.
Da lì, proseguii a piedi. La guerra da cui eravamo appena usciti non aveva consentito il rifiorire completo della vita, ma Lazzaro era ormai uscito dalla tomba. Sulle pendici più basse della montagna, vedevo i campicelli di orzo e segale in erba; in fondo alle strette vallate, qualche prateria verdeggiava.
Sono bastati gli otto anni che ci separano da quell'epoca perché tutta la zona risplenda di salute e felicità. Dove nel 1913 avevo visto solo rovine, sorgono ora fattorie pulite, ben intonacate, che denotano una vita lieta e comoda. Le vecchie fonti, alimentate dalle piogge e dalle nevi che la foresta ritiene, hanno ripreso a scorrere. Le acque sono state canalizzate. A lato di ogni fattoria, in mezzo a boschetti di aceri, le vasche delle fontane lasciano debordare l'acqua su tappeti di menta. I villaggi si sono ricostruiti poco a poco. Una popolazione venuta dalle pianure, dove la terra costa cara, si è stabilita qui, portando gioventù, movimento, spirito d'avventura. S'incontrano per le strade uomini e donne ben nutriti, ragazzi e ragazze che sanno ridere e hanno ripreso il gusto per le feste campestri. Se si conta la vecchia popolazione, irriconoscibile da quando vive nell'armonia, e i nuovi venuti, più di diecimila persone devono la loro felicità a Elzéard Bouffier.
Quando penso che un uomo solo, ridotto alle proprie semplici risorse fisiche e morali, è bastato a far uscire dal deserto quel paese di Canaan, trovo che, malgrado tutto, la condizione umana sia ammirevole. Ma, se metto in conto quanto c'è voluto di costanza nella grandezza d'animo e d'accanimento nella generosità per ottenere questo risultato, l'anima mi si riempie d'un enorme rispetto per quel vecchio contadino senza cultura che ha saputo portare a buon fine un'opera degna di Dio.
Elzéard Bouffier è morto serenamente nel 1947, nell'ospizio di Banon.
Jean Giono
Imagino que Jean Giono haverá plantado não poucas árvores durante a sua vida. Só quem cavou a terra para acomodar uma raiz ou a esperança dela poderia ter escrito a singularíssima narrativa que é “O homem que plantava árvores”, uma indiscutível obra-prima da arte de contar. Claro que para que tal sucedesse era necessário que existisse um Jean Giono, mas essa condição básica, felizmente para todos nós, era já um dado adquirido e confirmado: o autor existia, só faltava que se pusesse a escrever a obra. Também faltava que o tempo decorresse, que a velhice se apresentasse para dizer: “Aqui estou”, pois só talvez numa idade avançada, como já então era a de Giono, seria possível escrever com as cores do real físico, como ele o fez, uma história concebida no mais secreto da elaboração ficcional.
O plantador de árvores Elzéard Bouffier, que nunca existiu, é simplesmente uma personagem feita com os dois ingredientes mágicos da criação literária, o papel e a tinta com que nele se escreve. E contudo, ficamos a conhecê-lo logo à primeira referência que se lhe faz, como alguém a quem estivéssemos esperando há muito tempo. Plantou milhares de árvores nos Alpes franceses, depois esses milhares, por acção da própria natureza assim ajudada, multiplicaram-se em milhões, com elas regressaram as aves, regressaram os animais dos bosques, regressou a água, ali onde não tinha havido mais que secura. Em verdade, estamos esperando o aparecimento de uns quantos Elzéard Bouffier reais. Antes que seja demasiado tarde para o mundo.
José Saramago
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Immagino che Jean Giono abbia piantato non pochi alberi nel corso della sua vita. Solo chi ha scavato la terra per porne una radice o la sua speranza può aver scritto la singolarissima narrativa che è “L’uomo che piantava gli alberi”, una indiscutibile opera prima per l’arte di raccontare. È chiaro che perchè questo potesse accadere era necessario che esistesse un Jean Giono, ma questa condizione basilare, per fortuna nostra, era un dato acquisito e confermato: l’autore esisteva, mancava solo che si mettesse a scrivere l’opera. Mancava anche che il tempo passasse, che la vecchiaia si presentare per dire: “Sono qui”, perchè forse solo in età avanzata, come lo era quella di Giono, sarebbe stato possibile scrivere con i colori del reale fisico, come fa lui, una storia concepita nel più profondo dell’elaborazione narrativa.
Il piantatore di alberi Elzéard Bouffier, che non è mai esistito, è semplicemente un personaggio fatto con i due ingredienti magici della creazione letteraria, la carta e l’inchiostro con cui si scrive su di essa. Tuttavia, lo riconosciamo al primo riferimento che gli si fa, come qualcuno che stavamo aspettando da molto tempo. Ha piantato migliaia di alberi nelle Alpi francesi, poi queste migliaia, per azione della natura aiutata in questo modo, si sono moltiplicati in milioni, con loro sono tornati gli uccelli, sono tornati gli animali dei boschi, è tornata l’acqua, laddove non c’era che secchezza. In reatà eravamo in attesa di qualche Elzéard Bouffier reale. Prima che per il mondo sia troppo tardi.
José Saramago
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