Ce jour là, il avait versé des larmes. Lui, dont certains voulaient faire un seigneur de guerre, s'était abandonné. C'était en 1993, dans une petite maison perdue aux confins de Kaboul. Au loin le canon tonnait, des rafales de mitrailleuses lourdes zébraient la nuit, les obus déchiraient la neige.
A la lueur d'une lampe à pétrole tremblotante, au cœur de cette capitale plongée dans une obscurité encore plus profonde que le désespoir, Ahmad Shah Massoud s'était laissé aller: "Oui, avait-il reconnu, deux larmes perçant au coin de ses yeux, d'habitude si vifs, tant de souffrance, c'est une catastrophe, un gâchis sans nom."
Il vécut en toute liberté et cette attitude lui valut "toujours des critiques".
Ils furent nombreux à le convaincre de faire allégeance. A ces suggestions, il ne répondait pas, jamais! Seuls ses yeux riaient, et il y avait alors, dans ce regard, une ironie et une distance qui ne peuvent appartenir qu'à ceux qui se savent investis.
Il aime lire. Ceux qui viennent le voir prennent d'ailleurs l'habitude de lui apporter des ouvrages de stratégie, de philosophie, de poésie…Sa curiosité est immense. Il est comme insatiable et, quand parfois il parle de religion, ses propos évoquent un islam aussi doux qu'une pêche du Panjshir.
Pour faire obstacle aux taliban, Ahmad Shah Massoud disait qu'ils avaient mené "un coup d'état contre l'Islam : ces gens sans culture nous montrent le visage de la terreur et de l'oppression, mais ils ne connaissent pas l'Afghanistan. Le pays n'est pas à leur image."
Pour Massoud, l'Afghanistan était le pays le plus beau du monde. Ne reculant devant aucune prise de risque, il a toujours été prêt à mourir. Il n'aimait rien tant que ces réveils à l'aube quand, engoncé dans une couverture, l'on découvre d'un œil endormi et frileux les indescriptibles montagnes afghanes. Il savourait chaque jour nouveau comme un don divin.
Christophe De Ponfilly dit qu'il n'a pas réussit à filmer Massoud l'Homme de Paix.
Et pourtant:
"Nous retrouvons Massoud dans son bureau. Il est, ce 7 juillet 1997, étonnamment détendu. Il rit volontiers lorsque Merab lui demande comment il parvient à combiner le travail politique et le travail militaire.
- Comme tu le vois: tout naturellement, répond-il en enfilant ses chaussures qu'il avait ôtées pour prier. Je m'efforce de régler les problèmes au jour le jour.
Dans le bureau, peu de monde, seulement quelques commandants réunis pour une réunion à juste titre appelée "restreinte". Ils attendent un appel téléphonique de leur correspondant à Mazar afin de savoir où en est la constitution du gouvernement. Ce rêve en marche dont nous a parlé Qanony. Mais le satellite tourne au-dessus de nos têtes et ne transmet rien. Le temps passe en allées et venues de messagers pour des affaires d'intendance. Puis je filme Massoud qui prend un exemplaire du bulletin édité chaque semaine par l'ingénieur Is'Haq et son équipe de journalistes.
- Il y a un poème dans notre journal. Quelqu'un l'a-t-il lu? demande Massoud à la cantonade.
Les commandants présents s'emparent d'un exemplaire et plongent le nez dedans avec application. La scène est drôle! On dirait de mauvais élèves pris en défaut.
- "Le Verre brisé", dit Massoud. C'est le titre de ce poème.
- Personnellement je l'ai lu deux fois pour le commandant. Le voici:
"Il fait nuit, nos regards ont les yeux de ceux qui attendent..."
Vous comprenez?
Les hommes dodelinent de la tête, mi-affirmation, mi-négation, de peur de se faire engueuler. De vrais lèche-bottes!
- Toi, le mollah, dit Massoud avec un grand sourire, c'est trop dur pour toi!
Puis il reprend: "Il fait nuit, nos regards ont les yeux de ceux qui attendent... Dans la nuit les étoiles scintillent ça et là..." Tu comprends? demande Massoud à un commandant.
- Oui, quand on regarde le ciel, on y voit plein d'étoiles.
- Non! Qu'est-ce que cela veut dire?
"Dans la nuit, les étoiles scintillent ça et là...
"Trempé des larmes de peine et de souffrances
"Mon lit se trouve comme posé sur des flammes...
"Arrosé du courage un rien devient perle
"S'il atteint le courant de ma volonté.
"A l'image d'un jardin à l'approche du printemps."
Dans le bureau, personne n'ose lever la tête d'un texte qui laisse ces esprits imperméables. Aussi Massoud se met-il à en commenter la substance pendant que je continue à le filmer.
- Un rien insignifiant, vous savez, une perle, une goutte de pluie qui n'était rien, quand elle tombe sur une perle, la goutte devient perle. C'est pareil pour le courage. Mon courage est une perle. Un rien rejoint mon courage et devient perle. Ca veut dire que je suis un homme si courageux que tous ces problèmes et ces souffrances ne peuvent m'atteindre:"A l'image d'un jardin à l'approche du printemps."
Massoud pose le journal sur la table.
- Ce jeune poète a beaucoup de talent. Il habite Rokha et deviendra sans doute un grand poète de l'Afghanistan. Si jeune! Il a des inventions lumineuses et de belles manières de les mettre en forme.
Je demande à Massoud s'il aime la poèsie.
- Quand j'ai le temps, je lis des poèmes, confie-t-il.
Ce moment, saisi au hasard d'une visite, se trouve dans le film. Massoud tel qu'il est, avec sa gentillesse, son amour de l'Afghanistan, sa douce ironie vis-à-vis de ses hommes qui regardent le doigt lorsqu'on leur montre la lune.
Un tel instant de grâce arrive soudainement. "Séquence poème."
Maintenant qu'elle a été enregistrée, elle pourra vivre et revivre longtemps sur des écrans et dans nos souvenirs.
Non, Massoud n'a rien d'une brute de guerre, comme l'affirment certains (qui ne l'ont jamais rencontré!), même si les drames qui jalonnent son existence ont tracé sur son visage des sillons profonds jusqu'à l'âme, qu'il protège de tout regard extérieur. A fortiori d'une caméra."
Patrick de Saint-Exupéry
Quel giorno, aveva versato delle lacrime. Egli, di cui certi volevano fare un signore della guerra, si era lasciato andare. Eravamo nel 1993, in una casupola sperduta ai confini di Kaboul. In lontananza il cannone tuonava, le raffiche di mitragliatrici pesanti tracciavano la notte, le granate laceravano la neve.
Al chiarore tremolante di una lampada a petrolio, nel cuore di questa capitale piombata in un'oscurità ancora più profonda della disperazione, si lasciò sfuggire: "Sì, avete visto bene, due lacrime si intravedono all'angolo degli occhi, d'abitudine così vivi, tanta sofferenza, è una catastrofe, un pasticcio senza nome".
Visse in totale libertà e questo atteggiamento gli valse "sempre delle critiche". Furono in molti a cercare di convincerlo a fare atto di sottomissione. A questi suggerimenti, lui non rispondeva, mai! Solo i suoi occhi brillavano, e c'era allora, in quello sguardo, un'ironia ed una distanza che possono appartenere solamente a quelli che si sanno ispirati.
Ama leggere. Quelli che vengono a vederlo hanno preso l'abitudine di portargli dei lavori di strategia militare, di filosofia, di poesia... La sua curiosità è immensa. È come insaziabile e, quando talvolta parla di religione, i suoi propositi rievocano un islam dolce come una pesca del Panjshir.
Per ostacolare i talebani, Ahmad Scià Massoud diceva che avevano condotto "un colpo di stato contro l'islam: queste persone senza cultura ci mostrano il viso del terrore e dell'oppressione, ma non conoscono l'Afghanistan. Il paese non è a loro immagine".
Per Massoud, l'Afghanistan era il paese più bello del mondo. Non è indietreggiato davanti a nessuna tipo di rischio, è sempre stato pronto a morire. Non amava niente come svegliarsi all'alba quando, avvolto in una coperta, lo si scopriva ammirare con occhi insonni e infreddoliti le indescrivibili montagne afghane. Assaporava ogni nuovo giorno come un dono divino.
Christophe De Ponfilly dice che non è mai riuscito a filmare Massoud l'uomo di Pace. E tuttavia:
"Ritroviamo Massoud nel suo ufficio. È, questo 7 luglio 1997, straordinariamente rilassato. Ride volentieri quando Merab gli chiede come riesce a conciliare il lavoro politico e l'impegno militare.
- Come vedi: molto naturalmente, risponde infilandosi le scarpe che aveva tolto per pregare.
- Mi sforzo di risolvere i problemi giorno per giorno.
Nell'ufficio, poche persone, solamente alcuni comandanti presenti per una riunione a buon diritto chiamata "ristretta". Aspettano una chiamata telefonica del loro corrispondente a Mazar per sapere dove si terrà la costituzione del governo. Questo sogno in marcia di cui ci ha parlato Qanony. Ma il satellite gira sopra le nostre teste e non trasmette niente. Il tempo passa in un andirivieni di messaggeri per gli affari correnti. Poi filmo Massoud che prende una copia del bollettino pubblicato ogni settimana dall'ingegnere Is'Haq e la sua redazione di giornalisti.
- C'è una poesia nel nostro giornale. Qualcuno l'ha letta? - domanda Massoud al gruppo riunito.
I comandanti presenti si impossessano di un esemplare e ci ficcano dentro il naso con applicazione. La scena è divertente! Si direbbero dei cattivi alunni colti in fallo.
- "Il Bicchiere spezzato", dice Massoud.
- È il titolo di questa poesia. Personalmente l'ho letta due volte per il comandante. Ecco qui:
"Fa notte, i nostri sguardi hanno gli occhi di quelli che aspettano..." Comprendete?
Gli uomini ciondolano la testa, a metà tra assenso e negazione, per paura di farsi sgridare. Dei veri leccapiedi!
- Tu, mullah, dice Massoud con un grande sorriso, è troppo difficile per te!
Poi riprende: - "fa notte, i nostri sguardi hanno gli occhi di quelli che aspettano... Nella notte le stelle scintillano qua e là..." Comprendi? domanda Massoud a un comandante.
- Sì, quando si guarda il cielo, lo si vede pieno di stelle.
- No! Che cosa vuole dire questo?
"Nella notte, le stelle scintillano qua e là...
Immerso dalle lacrime di pena e di sofferenze
Il mio letto si trova come posato su delle fiamme...
Annaffiato dal coraggio un niente diventa perla
Se raggiunge la corrente della mia volontà.
Proprio come un giardino all'arrivo della primavera."
Nell'ufficio, nessuno osa sollevare la testa da un testo che lascia questi spiriti impermeabili. Tanto che Massoud si mette egli stesso a commentare nel merito mentre continuo a filmarlo.
- Un niente insignificante, sapete, una perla, una goccia di pioggia che non era niente, quando cade su una perla, la goccia diventa perla. È lo stesso per il coraggio. Il mio coraggio è una perla. Un niente raggiunge il mio coraggio e diventa perla. Ciò vuol dire che sono un uomo così coraggioso che tutti questi problemi e queste sofferenze non possono raggiungermi: "proprio come un giardino all'arrivo della primavera." Massoud pone il giornale sul tavolo.
- Questo giovane poeta ha molto talento. Abita Rokha e diventerà probabilmente un grande poeta dell'Afghanistan. Così giovane! Ha delle invenzioni luminose e dei bei modi di metterli in forma poetica.
Chiedo a Massoud se ama la poesia.
- Quando ho tempo leggo poesie, confida. Questo momento, catturato per caso in una visita, si trova nel film. Massoud come è, con la sua cortesia, il suo amore per l'Afghanistan, la sua dolce ironia nei confronti dei suoi uomini che guardano il dito quando si mostra loro la luna.
Un tale istante di grazia arriva improvvisamente. "Sequenza poesia."
Adesso che è stata registrata, potrà vivere e rivivere molto tempo su degli schermi e nei nostri ricordi.
No, Massoud non ha niente di un bruto di guerra, come affermano certi (che non l'hanno incontrato mai!), anche se i drammi che segnano la sua esistenza hanno tracciato sul suo viso dei solchi profondi fino all'anima, che protegge da ogni sguardo esterno. A fortiori da una cinepresa."
Patrick de Saint-Exupéry
Ahmad Shah Massoud e Christophe De Ponfilly, due grandi amici uniti per sempre
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